La naissance du Procureur financier : une vraie-fausse bonne idée
La création du Procureur financier est un signal politique fort et la traduction d’une volonté affichée par l’actuel gouvernement de lutter contre les délits financiers les plus complexes, au premier rang desquels la fraude fiscale. Toutefois, cet effort manifeste se trouve fortement altéré tant par le véritable "casse-tête" de compétence que propose la circulaire du 31 janvier 2014 que par l’absence de réforme de la procédure pénale applicable aux poursuites pour fraude fiscale.
Dans les suites immédiates de l’affaire “Cahuzac”, François Hollande avait appelé de ses voeux la création d’un procureur “spécialisé” ayant compétence nationale, susceptible d’agir sur les affaires de fraude fiscale complexe. C’est désormais chose faite avec la désignation d’Eliane Houlette et la parution du décret du 29 janvier 20141, qui fait suite à la promulgation de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. L’objectif poursuivi par le législateur était, avant tout, de rationaliser la politique pénale de lutte contre la grande fraude fiscale. Cette volonté n’est pas neuve, les premiers dispositifs de lutte contre la fraude fiscale internationale ayant été mis en place sous la précédente majorité, elle-même incitée par un contexte international favorable à la coopération des Etats et la coordination des politiques contre les “paradis fiscaux”. L’arsenal répressif se trouve en apparence particulièrement renforcé après l’adoption de la loi du 6 décembre 2013. Pourtant, si le but poursuivi peut paraître légitime, la mise en place du Procureur de la République financier n’est définitivement pas à la hauteur des ambitions affichées. Car, force est de constater que sa création risque d’être très peu impactante en matière de lutte (efficace) contre la fraude fiscale, et ce, pour au moins trois raisons.
1. Le Procureur financier n’est pas statutairement autonome : alors qu’une réforme ambitieuse aurait justifié la création d’une autorité de poursuite à part entière, le texte laisse le Procureur financier dans le giron du Tribunal de grande instance de Paris « aux côtés du Procureur de la République de Paris ». Ce qui in fine revient à placer le Procureur financier sous la double hiérarchie du Procureur général et du Garde des sceaux. D’évidence, cela nuira à son autorité.
2. Le Procureur financier ne bénéficiera pas de compétence exclusive : c’est peut être le point le plus problématique. Il aura compétence pour la poursuite d’un certain nombre d’infractions économiques et financières se distinguant par leur « grande complexité ».Tel est aussi le cas des délits de fraude fiscale2, sans référence à la « grande complexité », « lorsqu’ils sont commis en bande organisée ou lorsqu’il existe des présomptions caractérisées que les infractions prévues à ces mêmes articles résultent d’un des comportement mentionnés aux 1° et 5° de l’article L228 du Code de procédure fiscale ». Ces hypothèses sont précisément celles permettant la procédure judicaire d’enquête fiscale3, lorsqu’il existe « des présomptions caractérisées de fraude fiscale particulièrement grave ou complexe et un risque de dépérissement des preuves ». Cette procédure ayant la particularité d’être : accélérée, en évitant la phase d’investigation “administrative” ; secrète, justifiée par un risque de dépérissement des preuves ; confiée à une brigade spécialisée instituée au sein du ministère de l’Intérieur et disposant de prérogatives d’OPJ (Officier de police judiciaire); et conditionnée par la plainte du ministre du budget et par l’avis favorable de la Commission des infractions fiscales (CIF) sur l’existence de la présomption de fraude. Or, pour ce type de délits, le Procureur financier exerce une compétence concurrente avec les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) “criminalité organisée”4, ce qui ne peut que surprendre, puisque l’effort de lutte contre la grande fraude fiscale se trouve ainsi dispersé.
3. Le Procureur financier ne bénéficie pas de l’opportunité d’engager des poursuites : autre critique faite à la création d’un Procureur financier, il ne pourra pas se saisir lui-même de l’infraction de fraude fiscale. Il s’agit d’une particularité propre au délit de fraude fiscale appelé aussi “verrou de Bercy”. En la matière, c’est la CIF, saisie par le ministre du Budget, qui a le pouvoir de demander aux Parquets d’engager des poursuites. L’impact pratique est visible : le Parquet ne peut engager de poursuite sans plainte préalable du ministre du Budget, là où il dispose de sa pleine opportunité pour toutes les autres infractions du droit pénal des affaires. Plus surprenant, les infractions connexes, si elles entrent aussi dans le champ de compétence du Procureur financier, sont, elles dispensées de cette bénédiction préalable. La lutte contre la fraude fiscale aurait certainement pris un nouveau tournant si le régime des délits fiscaux avait été aligné sur celui… du blanchiment de fraude fiscale. Force est aujourd’hui de constater qu’aucune initiative politique ne semble se dégager pour modifier cette “tradition” française. Partant, l’utilité du Procureur financier dans la lutte contre la grande fraude fiscale apparaît toute relative.