LES COULISSES DE LA CROISSANCE FRANÇAISE
Selon l’Insee, le taux de croissance de la France a atteint 1,9% en 2017, un chiffre bien supérieur aux prévisions, mais qui masque toutefois de nombreuses fragilités…
Selon une estimation de l’Insee, publiée fin janvier, le Produit intérieur brut (PIB) en volume de la France a augmenté de 0,6% au quatrième trimestre 2017 et de 1,9% sur l’ensemble de l’année (contre 1,1% en 2016). Un chiffre constamment révisé à la hausse depuis les premières prévisions de l’année 2017, ce qui n’a pas manqué d’entraîner son lot de récupération politique, le nouveau gouvernement souhaitant à l’évidence capitaliser sur cette expansion de l’activité, alors même qu’il n’est aux affaires que depuis quelques mois. Or, ces estimations trimestrielles du PIB sont calculées à partir d’enquêtes menées auprès d’entreprises et de données administratives ; elles sont donc partielles et peuvent faire l’objet de corrections plus ou moins importantes une fois toutes les données disponibles… au bout de trois ans ! Autrement dit, le chiffre définitif de la croissance en 2017 ne sera précisément connu qu’en 2020. Mais on peut raisonnablement, d’ores et déjà, en déduire une embellie par rapport aux années précédentes.
LA SURPRISE DE L’INVESTISSEMENT
Quoi qu’il en soit, au quatrième trimestre 2017, l’investissement, la consommation et même le commerce extérieur ont été orientés à la hausse par rapport au trimestre précédent. Mais cela ne doit pas faire oublier que sur toute l’année 2017, c’est surtout l’investissement des entreprises qui a créé la surprise en augmentant de 4,3%, après 3,4% en 2016. Certains craignaient que la fin du dispositif fiscal de sur-amortissement, mis en place par le gouvernement Valls, ne pèse sur les dépenses d’investissement engagées par les entreprises. Mais il n’en a rien été, d’autant que les entreprises ont profité à plein du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et du Pacte de responsabilité pour regonfler leurs marges. Au surplus, les ménages ont eux aussi ouvert très grand leur porte-monnaie pour investir dans l’immobilier, avec une progression de 5,1% en 2017, contre 2,4% en 2016. A contrario, la consommation, moteur traditionnel de la croissance en France, a marqué le pas et n’a augmenté que de 1,3% en 2017, contre 2,1% l’année précédente, car les budgets restent contraints. Quant aux administrations publiques, elles ont encore réduit en 2017 leurs dépenses d’investissement, ce qui n’est que la traduction concrète des restrictions budgétaires imposées par le précédent gouvernement – et poursuivies par l’actuel – aux collectivités territoriales, à la Sécurité sociale et à l’État central. Cette situation aura nécessairement des conséquences négatives à venir, puisque ces dépenses d’infrastructures et de transferts jouent un rôle d’entraînement important pour l’économie française. Quant au commerce extérieur, même s’il pèse moins sur la croissance en 2017 qu’en 2016, sa contribution négative tient avant tout aux problèmes de compétitivité-coût des entreprises industrielles françaises au regard de leur niveau de gamme. Et pour l’instant, rien n’a été fait pour en inverser la vapeur et seuls l’aéronautique, le luxe et la pharmacie tirent leur épingle du jeu. Le Premier ministre doit toutefois annoncer, le 23 février prochain, des mesures pour renforcer l’accompagnement des entreprises à l’export.
RATTRAPAGE ET EMBELLIE EUROPÉENNE
En tout état de cause, dix ans après le dé- but de la crise, l’actuelle embellie résulte d’abord d’une reprise longtemps attendue de l’activité. Au reste, on assiste à ce phénomène de rattrapage dans presque toutes les régions européennes touchées par la crise de 2008. Ainsi, selon l’estimation préliminaire publiée par Eurostat, sur l’ensemble de l’année 2017, le PIB a progressé de 2,5% tant au sein de l’Union européenne que dans la zone euro (3,1% en Espagne malgré les difficultés politiques rencontrées avec la Catalogne, 2,2% en Allemagne…). Mais il ne faut pas perdre de vue que l’économie européenne a bénéficié d’un euro relativement faible, d’un niveau très bas des taux d’intérêt et de prix du pétrole relativement bas, avantages qui sont hélas déjà en train de s’estomper. Si l’on y ajoute la faiblesse des gains de productivité dans de nombreux Etats membres de la zone euro et le manque d’investissements publics parfois criant, comme en Allemagne, la croissance ne pourra être que très faible à terme. Enfin, à bien y regarder, les États – dont la France – sont en 2018 trop souvent dans des situations très proches de celles qui prévalaient en 2007 (endettement privé et public croissant, prix de l’immobilier en hausse, euphorie boursière, primes de risque faibles, etc.). Dès lors, face à cet optimisme à court terme, qui osera jouer les Cassandre et annoncer à ses dépens que la dernière fois que les différentes régions du monde ont connu une expansion de concert, c’était en 2007, juste quelques mois avant le déclenchement de la grande crise ?