Le rapport Lescure et la responsabilité des intermédiaires de l'Internet
Pierre Lescure a remis, le 13 mai, au président de la République et à la ministre de la culture et de la communication, son rapport sur la politique culturelle à l’air des contenus numériques. Les propositions qu’il formule s’inscrivent dans le cadre de sa mission sur l'« acte II de l’exception culturelle ». Une partie du rapport est consacrée à une réflexion sur l’implication des intermédiaires de l’Internet dans la lutte anti-contrefaçon.
La notion d’intermédiaire de l’Internet correspond à tous les prestataires qui « mettent en contact des tierces parties ou facilitent des transactions entre elles, sur l’Internet. Ils rendent accessibles, hébergent, transmettent et indexent sur l’Internet des contenus, produits et services provenant de tierces parties, ou fournissent à des tiers des services reposant sur l’Internet »1. Il s’agit, pour l’essentiel, des hébergeurs, moteurs de recherche, services de paiement, acteurs de la publicité en ligne et fourniture d’accès Internet et opérateurs de nommage, attribuant ou gérant les noms de domaine.A partir du constat posé par le Conseil national du numérique, dans son rapport du 1er mars dernier sur la « Net neutralité », soulignant que la neutralité des infrastructures garantit « l’accès de tous à tout ce qui est légal », le rapport Lescure s’interroge sur la nécessité de redéfinir les règles de responsabilité posées par la directive sur le commerce électronique, concernant, notamment, ces intermédiaires.
Si ces opérateurs ne se voient imposer aucune obligation générale de surveillance ou de recherche active des faits ou circonstances révélant des activités illicites, ils sont toutefois accessibles aux mesures judiciaires susceptibles de les concerner, telles que l’action en cessation de l’article L336-2 du Code de la propriété intellectuelle, introduit par la loi Hadopi 1 du 12 juin 2009. Un dispositif qui permet, en présence d’une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin, occasionnée par le contenu d’un service de communication au public en ligne, d’ordonner à ces opérateurs, de prendre des mesures propres à prévenir ou faire cesser une telle atteinte.
Tout en approuvant la souplesse d’un tel dispositif, la mission Lescure conclut toutefois à la nécessité, pour ces intermédiaires du Net, de s’engager volontairement dans la voie d’une autorégulation qui pourrait prendre la forme de chartes de bonnes pratiques, signées avec les représentants des ayants-droits et les autorités chargées de la lutte contre la contrefaçon.
Un label de confiance
A l’instar des chartes de lutte contre la contrefaçon sur Internet, d’ores et déjà signées sous l’égide du Comité national anti-contrefaçon depuis 2009, il s’agirait d’instaurer, entre opérateurs économiques, une relation de confiance prévoyant la mise en place de mesures préventives (détection et analyse du contenu des offres et du comportement des internautes) et réactives (notification par le titulaire de droits et réactions appropriées) par les opérateurs. En contrepartie, les intermédiaires s’engageant dans cette voie pourraient bénéficier, selon le rapport, d’une sorte de “label” de nature à rassurer leurs clients.
Ces réflexions semblent aller dans le bon sens, dès lors qu’elles préservent, à la fois la sécurité légitimement attendue par les ayants-droits et la souplesse des intermédiaires disposant déjà, pour l’essentiel, des dispositifs législatifs et réglementaires adaptés à une réaction de leur part. Ils ne sauraient, au regard de leur rôle essentiellement technique, se voir imposer une application accrue dans les dispositifs de lutte anti-contre-façon.
Il apparaît également approprié de poursuivre, à l’instar de la mission Lescure, une réflexion sur la définition de « site manifestement dédié à la contrefaçon », en confiant à une autorité publique le soin de constater les manquements répétés en matière de respect des droits de propriété intellectuelle, dont peuvent se rendre coupables certains sites. A cet égard, la contestation des « polices privées » mises en place par Google ou Paypal, paraît légitime : de tels acteurs ne sont pas en mesure de contrôler, de manière impartiale, l’activité des sites vers lesquels ils renvoient ou avec lesquels ils contractent, et encore moins d’apprécier la légalité de telles activités.
Il s’agit, également, d’éviter de sombrer dans l’appréciation subjective par des opérateurs ayant un intérêt direct en la matière. L’inscription, aux termes d’une procédure contradictoire, des sites ou hébergeurs de contenus et de liens ayant refusé, sans raison légitime, de donner suite aux notifications des ayants-droits, sur un index qui serait transmis aux intermédiaires signataires des chartes, pourrait, en effet, permettre d’assainir les pratiques en la matière.
La mise en place d’un index
La mise en place d’un tel index semble une proposition à la fois intéressante et dangereuse. Intéressante, car elle permettrait de réagir vite, de manière efficace en touchant directement les sites concernés. Dangereuse, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il est loisible de s’interroger sur le respect, dans le cadre de la “procédure contradictoire” envisagée, du droit à un procès équitable garanti par l’article 6-1 de la Convention européenne des Droits de l’Homme. L’« autorité publique » envisagée pourra-t-elle être considérée comme un « tribunal impartial et indépendant » ? Les difficultés liées à l’identification de l’éditeur du site litigieux, qui constitue l’une des plus grandes en matière de responsabilité sur Internet, permettront- elles d’assurer la procédure contradictoire, envisagée par la mission Lescure ?
Par ailleurs, la création et la mise à jour de cet index nécessitera des moyens matériels et humains importants pour donner à la mission ainsi impartie à l’autorité publique désignée un semblant d’efficacité. En ces temps de récession, il n’est pas certain que des moyens publics puissent encore être prioritairement consacrés à ce type d’activités…
Enfin, il est loisible de s’interroger sur les conséquences attachées à l’existence de cet index. Ainsi, les intermédiaires de l’Internet auront-ils l’obligation de vérifier, en temps réel, l’inscription sur cet index de leurs clients ? Dans l’hypothèse où ils ne le feraient pas, leur responsabilité ne pourrait-elle pas légitimement être engagée du fait du maintien du rapport contractuel ? Une telle solution ne viendra-t-elle pas, in fine, remettre en cause, par exemple, le régime de responsabilité spécifique dont bénéficient les hébergeurs aux termes de la loi du 21 juin 2004, selon laquelle ils ne sont tenus à aucune obligation générale de surveillance des contenus qu’ils hébergent ? (A suivre: le statut de l’hébergeur à maintenir)