Compétitivité : la France à la traîne
En son temps, le rapport Gallois avait épinglé les faiblesses françaises en termes de compétitivité. Une récente étude du Boston Consulting Group vient enfoncer le clou : notre pays est largement distancé. Le “pacte” à venir suffira-t-il à normaliser nos coûts de production ? Faut-il espérer un coup de pouce de la BCE ?
Elle arrive à point nommé, la dernière étude du Boston Consulting Group. Ce rapport du cabinet BCG sur la compétitivité nous vaccine, si l’on ose dire, contre notre propension naturelle à l’autosatisfaction. Ces travaux analysent l’évolution, sur la décennie écoulée, des principaux coûts de production : particulièrement les salaires et les charges salariales, l’énergie et les coûts d’implantation (prix des loyers et du foncier). Il en résulte que parmi les 25 plus grands pays exportateurs de la planète, la France se situe au 23e rang, près du radiateur. En fait, elle occupait exactement la même place en 2004 : les râleurs estimeront que notre pays n’a pas progressé d’un pouce sur toute la période, et qu’il se complaît dans le camp des cancres – une posture peu compatible avec ses prétentions à la grandeur. Admettons-le, ces récriminations sont recevables. Les optimistes relèveront que la France n’a pas régressé, en dépit d’une compétition internationale acharnée. Ce n’est pas faux, d’autant que d’anciens champions de la compétitivité ont été sévèrement rétrogradés dans le classement : Chine, Pologne, Brésil, Russie, République tchèque ont été distancés. Le grand gagnant de la décennie, c’est l’Oncle Sam. Qui doit sa remontée spectaculaire à la “maîtrise” des coûts des trois principaux postes : les salaires d’abord, même si ces derniers n’ont pas rejoint la norme chinoise ; l’énergie, ensuite, grâce au miracle supposé du gaz de schiste (bien que de sérieux doutes soient à formuler sur la pérennité de cette ressource) ; enfin, le taux de change. Pour mémoire, il fallait moins de 1,20 dollar à la fin avril 2004 pour acquérir uneuro ; il en faut presque 1,40 dix ans plus tard. Selon quoi la planche à billets de la FED a produit les effets escomptés, même si l’on peut s’étonner de la relative modicité de l’érosion du dollar en regard de l’énormité de la création monétaire américaine. Cela n’empêche pas la balance extérieure des Etats-Unis d’être fortement déficitaire, convenons- en, mais la manipulation monétaire permet quand même aux States de maquiller avantageusement ses comptes.
Des perspectives très incertaines
Que peut-on espérer, nous autres Français, en termes d’évolution de la compétitivité ? Sur le terrain de l’énergie, il n’est pas question, jusqu’à ce jour, de s’engager dans l’aventure du gaz de schiste, au moins tant que des techniques moins sulfureuses que le fractionnement n’auront pas été élaborées. Mais si nous sommes dépourvus de gisements pétroliers, nous disposons – outre nos brillantes idées – de nombreuses centrales nucléaires, qui pour être mal-aimées n’en produisent pas moins de l’électricité à des conditions très favorables. Quant aux coûts d’implantation, il n’est pas difficile de trouver moins cher ailleurs ; mais si l’on ajoute les considérations de logistique, ainsi que l’agrément de vie pour les salariés, nos handicaps s’en trouvent nettement minimisés. Reste, bien entendu, le gros morceau : salaires et charges sociales. Sur le thermomètre des températures salariales, nous sommes situés dans la zone caniculaire sur l’échelle européenne, et dans une véritable fournaise à l’aune asiatique. C’est donc le pacte de responsabilité et de solidarité qui est chargé de rafraîchir le coût du travail. Pour les charges salariales, l’affaire est entendue ; pour les salaires, le dossier n’est pas clos. Nul doute que l’on n’a pas finir d’entendre parler de nécessaires « réformes structurelles » concernant la réglementation du travail, jusqu’à ce qu’une plus grande licence soit accordée aux employeurs, notamment pour la fixation des rémunérations. Avec pour illustration édifiante l’exemple de la Grèce, qui aurait, selon une démonstration faussaire de la Commission européenne, dégagé l’année dernière un excédent primaire (c’està- dire avant amortissement de la dette). Car selon les normes ordinaires de la comptabilité publique, le déficit grec s’est élevé l’année dernière à 8,7% du PIB et sa dette a grimpé à 178%… Ce qui rend probables une nouvelle restructuration de son endettement et le maintien d’une austérité draconienne pour la population. Jusqu’à ce jour, la pertinence des « réformes structurelles » n’est donc pas vraiment probante. Reste le levier monétaire pour rendre les produits français plus attractifs… hors de la Zone euro. L’ennui, c’est que ce domaine ne relève pas des préroga-tives du Gouvernement, lequel doit se contenter d’adresser ses appels pressants à la BCE, par médias interposés : l’indépendance de l’Institution est inscrite dans le marbre des traités. Notre Banque centrale admet publiquement que la parité de l’euro est élevée, même si la force de la monnaie flatte l’ego de ses gardiens. La BCE admet également que la stabilité persistante des prix constitue un risque avéré de déflation – le scénario le plus redouté. En foi de quoi son président, Mario Draghi, au fil de ses interventions publiques, branditil régulièrement la promesse du recours à des moyens non conventionnels musclés, parmi lesquels l’achat massif de créances sur le marché secondaire – sans trop détailler le menu, car il ne conviendrait pas que les États décavés de la Zone en profitassent pour émettre des emprunts sans discernement (les investisseurs étant alors convaincus de pouvoir refiler aisément leur papier au Banquier central). Chacun sait que le “quantitative easing” à l’américaine ne résout en rien le fonds du problème – en ce sens, les Allemands ont raison de s’y opposer. Mais chacun sait aussi que le rétablissement est impossible sans l’annulation d’une bonne partie de la dette – en ce sens, les Allemands ont tort de sacrifier les populations au salut (improbable) des créanciers. Un vrai dilemme. La BCE, indécise, campe sur le gué…