1914, à un pas du désastre
Quel est ce monde qui a généré une boucherie tuant 10 millions de personnes ? En ce centenaire du début de la guerre 14-18, une passionnante exposition explore plusieurs facettes de ces sociétés précipitées dans le désastre. A la Bibliothèque nationale de France.
On connaît la date à laquelle le retour n’était plus possible. Fin août 1914 (le 30 ou le 31), l’engrenage des alliances diplomatiques qui coûtera la vie à 9,4 millions de personnes, ne pouvait plus être stoppé. Une poignante et très instructive exposition Été 14, les derniers jours de l’ancien monde dresse le portrait de cette société, juste avant ces dates fatidiques. L’exposition, qui se déroule à Paris, à la BNF, la Bibliothèque nationale de France, jusqu’au 3 août, est co-organisée par la BNF et le ministère de la Défense. Affiches de la mobilisation – la même dans tous les villages…-, documents diplomatiques, lettre d’Apollinaire demandant à être incorporé, cahier d’un soldat racontant le jour où le tocsin a sonné, photos… Des documents de nature très diverse sont exposés : il n’est peut-être pas d’autre épisode historique où l’histoire générale et les histoires familiales « s’imbriquent » aussi étroitement, explique Frédéric Manfrin, chef du service Histoire à la BNF, commissaire de l’exposition. Le long du mur, une frise restitue la chronologie de ces quelques jours d’août 14, denses d’ultimatums, de missives diplomatiques et de mensonges d’Etat décryptés. Puis, le visiteur plonge, tour à tour, dans les diverses facettes de la société de 1914, explorées dans différents espaces qui composent l’exposition. Ici, avec les affiches publicitaires de la Belle Epoque qui vante les bains de mer, s’exhibe l’insouciance et la joie d’une société qui découvre les loisirs. Quelques pas plus loin, déjà, une photo d’un cadavre gisant dans une tranchée militaire…. L’image a été publiée dans le Journal l’Illustration, le 4 juillet 1913, soit plus d’un an avant le début de la première guerre mondiale ! Elle a été prise près de la ville de macédoine de Kilkis, lors du conflit entre les bulgares et les grecs. Une illustration des conflits des Balkans, et une lugubre avant-première…
« Ils cherchent toutes les occasions de nous faire du mal »
Dans l’Hexagone de 1914, se dessine une société où cohabitent des mouvements pacifistes et d’autres bellicistes. Mais il y a une « préparation des esprits » à la guerre, explique Frédéric Manfrin. Les Allemands ? « Ils cherchent toutes les occasions de nous faire du mal », récitent les pages jaunies du Lavisse, le manuel scolaire de l’époque, exposé dans une vitrine. Jauni avant l’heure, le “plan 17” du général Joffre, qui prévoit toutes les étapes de la mobilisation, de l’équipement et du transport des soldats, et même celui des pommes de terre nécessaires pour les nourrir. Même constat pour le plan allemand. À l’épreuve des faits, « les plans n’ont même pas tenu 1,5 mois de guerre », tranche Frédéric Manfrin : nous sommes dans la section consacrée à l’aveuglement des états-majors allemands et français sur les modalités de la guerre à venir. Au rayon des objets simples incarnant une réalité de manière inattendue et glaçante, quatre grands « mouchoirs d’instructions » attirent l’oeil du spectateur. Ils étaient distribués aux soldats, avec leur fusil. Toutes nations confondues, le principe est le même : il s’agit d’illustrer comment monter et démonter son arme par des schémas, afin de permettre à tout soldat, éventuellement illettré, de s’en sortir. Les Austro-Hongrois parent leur « mouchoir d’instructions » de notes de musique. Les soldats allemands, eux, ont droit à quelques schémas supplémentaires : exercices de gymnastique, et silhouettes pour viser l’ennemi le plus efficacement possible. L’exposition ne pouvait faire l’économie de l’illustration de la violence du conflit : mitrailleuses de différentes nationalités exposées, un mur entier de fiches de « morts pour la France » édités par le ministère de la Défense, pour chaque soldat tombé au front… « La journée la plus violente du conflit a été le 22 août : 27 000 morts français », précise Laurent Veyssière, chef de la délégation des patrimoines culturels au ministère de la Défense, et commissaire de l’exposition. À la fin du parcours, des vidéos d’entretiens avec quatre historiens, sur les causes et les responsabilités du déclenchement de la première guerre mondiale.