« Il y a un réel besoin d’harmonisation fiscale européenne »
Réunis en congrès à Bruxelles du 28 au 30 septembre, les expertscomptables remettront des propositions à Pierre Moscovici, commissaire européen aux Affaires économiques et financières, à la fiscalité et à l’union douanière.
Le congrès national 2016 des experts-comptables se réunit pour la première fois hors de France. Pourquoi ?Bruxelles est un choix mûrement réfléchi. Aujourd’hui, les matières comptable et fiscale se décident au niveau européen. Nous pourrons ainsi nous confronter à d’autres réglementations et nous enrichir au contact de confrères allemands, britanniques, italiens, espagnols, portugais, belges, hollandais et même… nord et sud-américains. Par ailleurs, l’Europe représente un marché unique en construction de plus de vingt millions d’entreprises. L’évolution de l’expertise comptable sera probablement déterminée par sa capacité à faire valoir ses atouts professionnels, à accompagner les entreprises dans leur globalité et à leur dispenser un conseil de qualité, particulièrement en matière fiscale. Cela reste toutefois bien le congrès français mais avec une connotation plus large car notre profession est engagée dans les différentes organisations internationales, avec un rôle d’influence et nos confrères étrangers sont attirés par la notoriété de cet événement.
“La fiscalité et son étroite connexion avec la comptabilité” en est le thème. Pourquoi ? Après quatre congrès successifs consacrés à l’évolution des cabinets, nous revenons à une thématique “cœur de métier”. Nous souhaitons répondre à une demande forte de nos confrères de revenir sur des fondamentaux techniques. La comptabilité ne peut se comprendre sans la fiscalité et la fiscalité ne peut être traitée sans une approche comptable préalable. Nous sommes aussi, avec cette thématique, au cœur de l’actualité : la commission européenne souhaite faire de la lutte contre l’évasion fiscale, le tout premier de ses chantiers. Vous voulez porter à cette occasion, avec vos homologues européens, « des propositions communes de réformes, d’harmonisation et de simplification des règles fiscales en Europe ». Que souhaitez-vous ? Les entreprises comme les États ont besoin de règles fiscales claires, stables et précises. Nous observons aujourd’hui que seule la TVA peut être considérée comme un impôt harmonisé au niveau européen, quoique de façon limitée puisque le régime intracommunautaire prévu temporairement s’est pérennisé. Mais c’est en matière d’imposition directe, notamment concernant la détermination et l’imposition des résultats des entreprises, que l’harmonisation fiscale fait cruellement défaut, en dépit de l’existence de quelques dispositifs communautaires. Or il y a un réel besoin. Nous ferons donc officiellement des propositions et les remettrons, dans un livre blanc, à Pierre Moscovici, commissaire européen en charge des Affaires économiques et financières, de la fiscalité et des douanes. Nous voulons attirer l’attention des pouvoirs publics européens sur cette nécessité de simplifier et d’harmoniser les réglementations fiscales au sein de l’UE, de mettre fin aux distorsions de concurrence et d’assurer la sécurité juridique et fiscale des entreprises.
Dans un univers en profonde mutation, comment vous positionnez-vous ?Nous souhaitons aider le chef d’entreprise à se consacrer à son cœur de métier. Les TPE et PME, peu épargnées par la crise et la transition numérique, attendent un accompagnement de plus en plus global et des missions de service à plus forte valeur ajoutée (conseil en matière sociale, fiscale, export…). La loi Macron nous en donne les moyens. Elle a notamment confirmé notre rôle comme conseils des entreprises en étendant notre périmètre d’interventions.
Redoutez-vous l’ubérisation de votre profession ou des mouvements de délocalisation dans les pays à bas coûts ? J’entends souvent parler du risque d’ubérisation de la profession. L’ubérisation, c’est l’incrustation d’un acteur économique nouveau entre un professionnel et un client, un consommateur et qui utilise la technologie d’aujourd’hui pour mettre l’un en relation avec l’autre et qui, au passage, se partage la marge. C’est donc mal connaître notre profession que de penser que nous allons nous faire ubériser car nous sommes engagés dans la dématérialisation depuis longtemps. Cette technologie est intégrée dans les méthodes des cabinets comptables. Il faut certainement aller plus loin et faire plus. C’est pourquoi nous sommes dans cette démarche du numérique. Nous avons tenu notre 70e congrès en 2015 sur ce thème et l’Ordre lance un plan d’accompagnement des cabinets dans leur transition numérique et celle de leurs clients, qui sera présenté le 8 novembre. Quant à des mouvements de délocalisation dans des pays à bas coûts, je n’y crois pas. Les experts-comptables français sont très compétitifs sur le marché et bénéficient d’une réglementation qui constitue, pour leurs clients et leur environnement, des garanties de qualité et de sécurité.
L’an dernier, vous avez lancé Statexpert, puis, en 2016 Image PME, Indicateur de mesure de l’attractivité de gestion et de l’emploi des PME… Quelle est la finalité ? Il existait peu de statistiques dédiées aux PME qui représentent pourtant plus de 99% des entreprises françaises. En 2015, nous avons donc lancé Statexpert, un outil statistique élaboré à partir des flux des télé-déclarations fiscales et sociales. Aujourd’hui, nous franchissons un pas supplémentaire avec Image PME, outil de mesure et d’analyse de l’activité économique des TPE-PME comprenant des données pour suivre l’évolution du chiffre d’affaires, de l’investissement et de l’emploi. Etabli sur un périmètre constant de plus de 200 000 entreprises, il propose une analyse tendancielle par région de 21 secteurs d’activité de référence, dont cinq accessibles au grand public : distribution automobile, construction, hébergement et restauration, industrie manufacturière, transport et entreposage. Sur la base de ces données, comment se présente la conjoncture en cette rentrée 2016 ? L’économie française n’est pas des plus florissantes. Nous vivons un changement de société qui se caractérise par une irruption du numérique dans des secteurs de plus en plus nombreux, et par de nouveaux modes de consommation. Cela se traduit par des succès pour les uns et de grandes difficultés pour les autres. Mais il y a également une instabilité notoire, due aux tensions sociales et incertitudes politiques. Le climat n’est pas propice à une croissance économique par manque de sérénité et de confiance dans l’avenir. Cela dit, les affaires se maintiennent tant bien que mal. Pour rappel, le chiffre d’affaires des TPE/PME françaises a enregistré son sixième trimestre consécutif de croissance au deuxième trimestre 2016 et a même affiché une des plus fortes croissances observées depuis le début de Statexpert. Et l’indice trimestriel de l’emploi des TPE/PME a continué de progresser de façon soutenue.