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Le musée de la nacre, mémoire vive de l’industrie méruvienne

Avec l’essor de la tabletterie au XIXe siècle, le Pays de Thelle au sud de l’Oise devient au XXe siècle le plus grand centre européen de fabrication de nacre. Et Méru la "capitale mondiale de la nacre". Souvenir vivant de cette gloire passée : le musée de la nacre et de la tabletterie, installé en lieu et place de l’usine Industrie méruvienne.

Méru était au début du XXe siècle considérée comme la "capitale mondiale de la nacre".
Méru était au début du XXe siècle considérée comme la "capitale mondiale de la nacre".
Les guides-conférenciers opèrent devant les yeux des démonstrations, reproduisant les gestes des ouvriers de l’époque.

Les guides-conférenciers opèrent devant les yeux des démonstrations, reproduisant les gestes des ouvriers de l’époque.

Le musée de la nacre accueille chaque année environ 20 000 visiteurs.

Mais pourquoi la petite cité méruvienne est-elle devenue une référence mondiale en matière de fabrication d’objets en nacre et de tabletterie ? « Grâce notamment à sa proximité avec la capitale d’abord, aux nombreuses nourrices qui gardaient les bambins parisiens, et aux jeunes Méruviens qui partaient en apprentissage chez de célèbres tabletiers de Paris », répond Patrick Huqueleux, en charge de la communication du musée. C’est aussi l’époque à laquelle la nacre, pourtant travaillée depuis le XVIIe siècle, commence à être véritablement exploitée. Les paysans isariens profitent alors de la période hivernale pour compléter leur activité, et toute la famille s’attèle à la tâche pour fabriquer des objets de tabletterie (dés, peignes, chapelets…). Dans les années 1910, pas moins de 54 entreprises investissent le secteur, qui fait travailler 10 000 personnes. C’est cette période que retrace le musée de la nacre, ouvert en 1999, presque 30 ans après la fermeture de l’usine où il se trouve. Les ateliers ont certes été réaménagés, mais les visiteurs ont l’assurance au fil du parcours de replonger dans l’atmosphère de l’usine, et de découvrir grâce aux démonstrations des guides qui reproduisent les gestes des ouvriers et artisans du siècle dernier, les dessous de la fabrication d’objets qui invitent au voyage… La boutique du musée en donne un bon avant-goût, avec ses bijoux, manchettes de chemises, bibelots, etc. dont certains sont fabriqués sur place.

Du domino au bouton

Mais la visite (environ 1 h 30) débute réellement dans le petit atelier voisin – reconstitué à l’identique – de Mr Tartare, dominotier de son état jusqu’en 1970. La fabrication d’un domino, c’est tout un art, et les étapes sont nombreuses avant de pouvoir y jouer… Tout part d’un os de bœuf, qui une fois bouilli est découpé, « on les déboulaque, nous apprend Patrick Huqueleux, c’est-à-dire qu’on enlève les deux extrémités ». Vient ensuite une succession d’opérations : taille dans l’épaisseur de l’os, affinage de la coupe pour obtenir un domino aux bonnes dimensions, blanchiment dans l’eau oxygénée, collage des plaquettes d’os et d’ébène à l’aide de colle à poisson (entorse à la tradition, elle est aujourd’hui remplacée par de la colle à bois), le railage (la raie centrale du domino réalisée avec une petite scie circulaire)… pour enfin arriver au mouchetage, qui consiste à noircir les trous qui à l’époque étaient percés par les femmes à domicile, et réalisé à l’aide d’une teinture mêlant noir de fumée et vernis, versée dans le trou avec une tête d’épingle. Chaque domino était rempli trou par trou, un travail d’orfèvre, et de titan.

Méru était au début du XXe siècle considérée comme la "capitale mondiale de la nacre".

Méru était au début du XXe siècle considérée comme la "capitale mondiale de la nacre".

Exit les dominos, la visite se poursuit avec la fabrication des boutons. Mais avant de pénétrer dans l’antre de l’atelier, un détour s’impose par les – nobles – matières premières utilisées. Les noms, les coquillages et les provenances font rêver : ébène, nacre de Tahiti, huîtres perlières de Nouvelle-Calédonie, Troca… « la matière première était transportée par bateau, puis par charrette, avant l’ouverture de la ligne de chemin de fer en 1875 », précise Patrick Huqueleux. Mais une fois poussées les portes de l’atelier, c’est plutôt dans l’univers des œuvres de Zola qu’on pénètre. « Il faut imaginer qu’à l’époque, 80 personnes travaillaient dans cet atelier sur quatre bancs de tours. Entre le bruit des machines, la poussière provenant des coquillages qui envahissait toute la pièce, la chaleur suffocante l’été, le froid l’hiver, les journées de 10 à 12 heures de travail, les conditions de travail étaient vraiment dures, beaucoup d’ouvriers étaient sourds, ou asthmatiques », note Kim Gomas, une des guides conférencières du musée. Une cadence infernale rythmée par les machines alignées en rang d’oignons, alimentées par une machine à vapeur, elle-même alimentée par une énorme chaudière. Les machines du musée fonctionnent comme celles de l’usine (à la seule différence de l’air comprimé qui a remplacé la vapeur, et de l’absence des dix stères de bois utilisés quotidiennement pour la faire fonctionner à l’époque), et la chaîne de fabrication d’un minuscule bouton, qu’il soit en ébène, corne, écaille ou ivoire, est… longue et fastidieuse.

Il s’agissait en premier de trier les coquillages – seule 30% de la matière est utilisée, le reste est jeté dans la nature – par taille, en vue du découpage. Venait ensuite le meulage pour donner l’épaisseur voulu au coquillage (appelé “pion” à ce stade de conception), le méchage, le gravage qui permettait d’ajouter un motif, le perçage, le ponçage – pour adoucir les arêtes et arrondir les trous – qui s’effectuait des heures durant dans un tonneau de grès. Dernières étapes : le polissage, cette fois dans un tonneau de bois contenant sciure de bois et pâte à polir et le ressuyage pour ôter l’excès de pâte à polir. « Les pièces étaient jetées dans des sacs à pommes de terre, pour que le contremaître les compte à l’aide de la grosse, une pelle sur laquelle on pouvait positionner 144 boutons. Les ouvriers étaient payés à la pièce fabriquée », explique Kim Gomas. Il existait trois choix de boutons : ceux jugés parfaits étaient encartés [ndlr, cousus sur une carte] et partaient vers les magasins chics de la capitale (le Bon marché, le Printemps) et chez les couturiers parisiens, le second choix atterrissait chez des grossistes, et le dernier sur les étals des marchés. Les boutons ainsi nés pouvaient être teints par trempage. L’oeuvre du teinturier, bras droit du patron qui disposait des draps autour de son laboratoire situé en plein milieu de l’atelier, pour préserver le secret de ses recettes… Une fois sortis de l’atelier et après un détour dans la salle voisine où est diffusé un diaporama d’une vingtaine de minutes dans lequel des anciens ouvriers témoignent de leur quotidien, direction le premier étage. Avec une pause dans la salle dite des beaux objets où sont exposés des éventails délicatement travaillés, avant de s’attarder devant les meubles découvertes aux différentes thématiques (langage de l’éventail, les jeux, etc.), et l’atelier Minelle – tabletier installé jusqu’en 1957 à Ully-Saint-Georges – reconstitué.

Dans les années 1950/ 60, le plastique détrône la nacre, ne reste désormais que le musée de la nacre pour se remémorer cette glorieuse époque méruvienne.

Informations pratiques

Ouvert tous les jours de 14 h 30 à 18 h 30 sauf le mardi.
Tarifs : adultes 7 euros, enfants de 5 à 16 ans
Exposition L’éventail –matières d’excellence du 13 septembre au 17 avril 2016.
Renseignements : 03.44.22.61.74.