La sécurité fait (un peu) le ménage
Flicage de salariés, espionnage de clients… Les pratiques douteuses des services de sécurité de grandes entreprises défrayent la chronique. Le Cnaps, l’organe chargé du contrôle du secteur, promet de mettre de l’ordre. Pour l’instant, le nombre d’entreprises sanctionnées est extrêmement faible.
C’est peu dire que les services chargés de la sécurité dans de grandes entreprises défrayent – négativement – la chronique. Le 19 novembre dernier, trois dirigeants d’Ikea ont été mis en examen dans le cadre de l’enquête sur des pratiques d’espionnage de salariés et de clients, dévoilées par le Canard Enchaîné. « Le groupe Quick, numéro deux de la restauration rapide en France, a eu recours au même détective privé que le géant du meuble et à des pratiques également illégales », écrit Médiapart, le 25 novembre 2013. De quoi fournir matière à réflexion aux participants du débat sur les « pouvoirs et limites des dispositifs internes de sécurité, d’inspection et de déontologie », qui se tenait le 27 novembre dernier à Paris, à l’initiative du groupe Facilicom, lequel propose des prestations de service dans la sécurité.
Ce jour-là, Alain Bauer, président du Cnaps, le Conseil national des activités privées de sécurité, chargé par l’Etat de l’agrément et du contrôle des professionnels de la sécurité, ne peut que condamner ces « dérives dans les entreprises ». D’après ce professeur en criminologie, certaines entreprises, « se sentent naturellement entraînées à faire du contrôle, de l’investigation. Il y a des caméras clandestines dans des locaux syndicaux, des quasi- gardes à vue de salariés soupçonnés d’avoir commis actes indélicats (…), sans tenir compte de la législation et avec un sentiment d’impunité ».
Un amateurisme global ?
Une conjonction de plusieurs facteurs explique cet état des lieux, à en suivre les différents intervenants. Eric Delbecque est chef du département économique de l’Institut national des hautes études de sécurité et de justice (INHESJ). Pour lui, c’est toute la conception et la perception de la sûreté dans l’entreprise qui est en cause. « Les salariés sont convaincus que les patrons “sûreté” sont les flics en chef de l’entreprise. C’est une situation dommageable », estime Eric Delbecque. Audelà de cette perception, « le patron de la sûreté, s’il parle de prévention, est mal accueilli », complète-t-il, citant l’exemple des cadres qui se déplacent avec « quinze ans de travail dans leur portable », et se laissent aborder par quelque blonde plantureuse à l’aéroport. Un cliché éculé ? « Cela marche encore », assure Eric Delbecque. Autre souci, la manière dont la sûreté est envisagée dans l’entreprise, sans stratégie ni élaboration de scénario, ni hiérarchisation des priorités. En particulier, « le patrimoine immatériel est souvent non protégé », note Eric Delbecque. Et « il n’y a aucune conception de la chaîne de sûreté globale. On prend des points comme la sécurité physique, mais pas l’ensemble. Or, il ne faut pas seulement empêcher l’intrusion physique, mais aussi se demander ce que l’intrus va venir chercher », ajoute l’expert. Autre souci encore, pour les grandes entreprises qui ont recours à des prestataires, « les directions des achats ne sont pas encore convaincues qu’il y ait d’autres critères que le prix (…). On ne peut pas payer une Rolls au prix d’une Deux Chevaux », prévient Eric Delbecque.
L’impasse sur le droit et au-delà
Mais l’un des problèmes majeurs semble résider dans une ignorance du droit, en matière de sécurité, de la part des entreprises. Les connaissances en droit des services chargés de la sûreté sont « limitées », relève diplomatiquement Eric Delbecque. Or, « cela ne sert à rien de dépenser des millions en sécurité, si les moyens sont clandestins, car les preuves ne seront pas recevables devant la justice », analyse Etienne Drouard, avocat spécialisé en droit de l’informatique et des réseaux de communication électroniques. D’après lui, il serait très profitable aux entreprises de mieux connaître le droit et la jurisprudence sur des sujets comme les enregistrements des conversations téléphoniques des salariés, la lecture de leurs courriels ou le recours à la biométrie. En effet, non seulement cela leur permettrait d’éviter des pratiques illicites mais aussi leur fournirait l’opportunité d’utiliser des moyens que la jurisprudence a fini par admettre. Par ailleurs, au-delà de la stricte question juridique, « le respect éthique ne se cantonne pas au respect du droit, mais s’étend à ce qui est sociétalement légitime. Il y a un angle mort dans les entreprises, sur l’acceptabilité de telle ou telle pratique, par rapport au secteur d’activité. Car il faut aussi défendre la marque », ajoute Eric Delbecque. En 2012, dans le cadre de son activité de contrôle, le Cnaps a constaté 3 612 « manquements », notamment des infractions au code de la sécurité intérieure des entreprises. Et, pour 14 dossiers examinés par les Ciac, commissions chargées de prononcer des jugements, « 12 sanctions ont été prononcées », indique le rapport d’activité du Cnaps.