Industrie, dix ans de Printemps
Si la vocation du Printemps de l’industrie est toujours la même depuis sa création il y a dix ans – faire découvrir les métiers et produits de l’industrie picards – l’engouement que la manifestation (initiée par la région) suscite a elle pris de l’ampleur. Le nombre d’entreprises ouvrant leurs portes a plus que doublé durant cette décennie : 140 ont cette année joué le jeu, un bon moyen de susciter des vocations l’occasion de cette édition tournée vers l’orientation.
« Des entreprises ont embauché grâce au Printemps de l’industrie. »
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 152 000 Picards – dont 85 000 scolaires – ont participé au Printemps de l’industrie depuis ses débuts. Côté entreprises, elles sont plus de 400 à s’être inscrites dans le projet, avec des fidèles comme Procter & Gamble à Amiens et VKR dans le Vimeu, et de nouvelles recrues, 42 en 2015. La formule, initiée par le conseil régional de Picardie a donc su trouver son public, qui part chaque année via visites et conférences à la découverte du patrimoine industriel picard et des métiers de l’industrie, de l’aéronautique à la cosmétique en passant par l’agroalimentaire et l’équipement automobile. Objectif : redorer le blason des industries, casser chez les plus jeunes les préjugés et mettre en avant les savoir-faire de la Picardie, où 20% de l’emploi salarié se trouve dans l’industrie, secteur qui continue à embaucher, et continue à rencontrer des difficultés à le faire… D’où le thème choisi cette année : l’orientation et ses corollaires que sont les besoins de recrutement, la formation et l’emploi, avec toujours en fil rouge l’innovation. Une volonté qui se traduit par les actions mises en place par la région en la matière, qui en a fait un axe fort de sa politique de développement économique, en équipant et renforçant notamment de matériel de pointe les plates-formes technologiques dans les lycées techniques et professionnels. Des partenariats avec le monde industriel, de la recherche et de la formation ont également été noués, avec l’appui des pôles de compétitivité picards. La thématique retenue pour ce Printemps s’inscrit pleinement dans la politique régionale, en mettant en relation l’offre de formation aux besoins des territoires et des entreprises qui favorisent l’accès à l’emploi. Et si la région a mis sur pied le Printemps, c’est précisément pour renouer ce lien, distendu pour le moins, qui existait entre ces deux univers : « Lorsque nous avons lancé en 2004 une concertation pour préparer le schéma de développement économique picard, nous nous sommes aperçus qu’il existait un problème de compréhension entre les Picards et l’industrie », explique René Anger, conseiller spécial du président du conseil régional Claude Gewerc. L’industrie étant pour la région une priorité de sa politique économique, des mesures ont été prises pour casser cette image négative, et ce dans un contexte économique national « où l’industrie n’était non seulement pas une priorité, mais été jugée archaïque », se souvient René Anger. La faute en partie à la culture urbaine, peu encline à valoriser l’industrie.
Opération séduction
La région prend elle le problème à bras le corps, en se demandant comment « construire de la fierté pour l’industrie, et valoriser les belles entreprises du territoire, en intégrant une dimension historique, toujours liée à l’industrie », poursuit René Anger. Le Printemps de l’industrie est né (initiative unique en France, relayée depuis quelques années par la Semaine de l’industrie lancée par l’État), en intégrant ces différentes composantes : une partie liée à l’histoire des entreprises, une autre s’attachant aux industries actuelles, et la dernière dévoilant les tendances à venir. Pour découvrir toutes ces facettes : des visites, conférences, temps forts (cette année entre autres la Nuit de l’orientation et le Salon de l’apprentissage et de l’alternance) et des sites Internet… « L’idée cette année avec l’orientation, c’était notamment que les jeunes rencontrent de jeunes salariés travaillant dans l’industrie, que ces derniers leur parlent de leur travail, pour casser l’image passéiste que certains ont encore de l’industrie, constater que les femmes aussi y ont leur place et que les évolutions de carrière y existent », détaille René Anger. Une opération séduction qui s’organise en amont, et implique que les entreprises soient préparées (certaines ouvrent uniquement leurs portes à des scolaires), et que les enseignants préparent eux aussi le terrain avec leurs élèves. Une formule qui fonctionne : « Des entreprises ont embauché grâce au Printemps de l’industrie, assure le conseiller spécial du président. Le souci, c’est toujours de trouver des candidats à l’embauche, nous travaillons notamment avec les branches professionnelles sur ce sujet. Il faut réorganiser les études, si les jeunes ont un bon niveau de formation initiale, même s’ils ont suivi des études à l’université, ils peuvent bifurquer vers l’industrie, c’est un travail à la carte, mais les deux univers ne sont pas cloisonnés. Dans l’industrie n’existent pas que des postes productifs. »
Selon lui, le regard porté sur l’industrie a évolué, et le Printemps y a à son échelle contribué.
Clouterie Rivierre, un passé qui se conjugue au présent
L’usine fondée à Creil en 1888 par Théodore Rivierre est la dernière fabrique de clous française encore en activité. Avec ses 325 machines centenaires et plus de 2800 références de clous, elle perpétue un savoir-faire unique en son genre.
La clouterie Rivierre a fait carton plein à chacune des trois visites proposées dans le cadre du Printemps de l’industrie. Rien d’étonnant à cela. Ultime vestige de l’épopée industrielle d’un bassin creillois plongé en pleine reconstruction urbaine, elle offre le témoignage vivant d’une histoire ouvrière qui ne sera bientôt plus qu’une page d’encyclopédie.
Encore que l’usine fondée en 1888 par Théodore Rivierre, résiste. Toujours vaillante près de 130 ans après sa création, elle est même la dernière usine de clous française en activité avec un catalogue de plus de 2 800 modèles, certains étant réalisés sur demande. À côté des semences, elle produit des clous destinés à l’artisanat, à l’industrie et au secteur du luxe.
« Nous avons un savoir-faire qui nous permet de faire de la qualité mais nous ne sommes pas en concurrence avec la Chine d’où proviennent les clous standard des magasins de bricolage. Rivierre est vendu aux professionnels ainsi qu’aux particuliers grâce à notre site de vente en ligne », indique Camille Sanchez, animatrice du patrimoine attachée à la clouterie.
Un décor surréaliste
Un savoir-faire immuable, transmis de génération en génération sur des machines construites sur place entre 1890 et 1925. En 2007, la clouterie Rivierre a été labellisée “Entreprise du patrimoine vivant”, un oxymore qui démontre son étrange pouvoir de conjuguer le passé au présent. Elle a notamment fabriqué un clou sur mesure pour la restauration du fort Vauban à Besançon. « Sur un peu plus de mille machines, il en reste 325 mais elles ne tournent jamais toutes en même temps. Dix-huit personnes travaillent ici, il y en a eu jusqu’à 400 autrefois », explique l’animatrice tandis que les visiteurs pénètrent dans le temple du labeur. Une halle immense, plongée dans un décor surréaliste au ciel de plomb. Le silence inhabituel donne à ces rangées de machines comme répliquées à l’infini, une allure presque fantomatique. Chacune porte un prénom féminin. Daniella pour les “D”, Hermione, pour les “H”, « une façon de repérer les rangées ».
Un vacarme d’enfer
Les visites guidées (le mercredi) permettent de suivre toutes les étapes de la fabrication des clous et des semences, du tréfilage du fil d’acier à la fabrication sur les machines, en passant par le bleuissage (clous tapissiers), le nettoyage à la sciure de bois et l’emballage dans des paquets vintage. Camille Sanchez est incollable sur la question : clous Carvelle (marine), points, clous de charpente, goujons à tonneaux, mini clous à modélisme… 2 800 modèles différents, voilà qui donne une idée du savoir-faire de Rivierre. L’animatrice fait une démonstration : « Attention, prévient-elle, ça va faire du bruit ! » La machine, docile, se met à marteler avec frénésie. On imagine leur vacarme d’enfer à la fin du XIXe siècle et l’on pousse un soupir de soulagement. Heureusement, nous sommes en 2015 et la condition humaine, elle, a bien changé.