Emmanuel Cohardy : "Nous sommes là pour trouver des moyens d’adapter au mieux les aides"
Médiateur pour les travailleurs indépendants, président des CPME Aisne et Hauts-de-France, Emmanuel Cohardy œuvre aux côtés des acteurs économiques et institutionnels pour que les entreprises de la région traversent au mieux cette crise sanitaire. Entretien.
Picardie La Gazette : Beaucoup de dispositifs d’aides ont été mis en place pour aider les entreprises. Tiennent-ils leurs promesses ?
Emmanuel Cohardy : Nos chefs d’entreprise n’en comprennent pas toujours le fonctionnement et ont du mal à identifier les dispositifs auxquels ils peuvent prétendre. Je crois qu’une de nos priorités c’est de faire preuve de pédagogie, de communiquer et de les aider à faire le tri dans les nombreuses informations qu’ils reçoivent. Le rôle de toute organisation patronale, c’est d’accompagner le chef d’entreprise quand ça va bien, et moins bien. Nous devons les pousser à se tourner vers ces aides lorsqu’ils y ont droit et cibler celles qui leurs sont réellement nécessaires, sans les démultiplier à outrance, en fonction de leurs besoins. Dans les premières semaines, nous avons fait beaucoup de fléchage, pour aiguiller les entreprises vers ces différents dispositifs.
Quel regard portez-vous sur l’action en région ?
Je participe chaque semaine au rendez-vous économique, en présence de l’ensemble des acteurs économiques et institutionnels. Il y a à mon sens une réelle volonté de sortir de cette crise, une véritable analyse des failles de l’ensemble des dispositifs nationaux. C’est le cas pour les entreprises déjà fragiles avant la crise, en plan de continuation par exemple, qui étaient exclues du dispositif. Pour faire remonter ces informations, nous disposons de deux canaux : un circuit qui passe par le préfet de Région directement vers l’exécutif et un autre via les organisations patronales. Toutes les semaines, j’ai une visioconférence avec notre président national François Asselin, à qui je fais part de la typologie de nos entreprises et des difficultés rencontrées sur le territoire. Nous arrivons ainsi à faire passer nos messages de façon plus efficace.
Vous avez réussi à faire bouger les lignes ?
Oui, la CPME a obtenu la baisse du seuil du chiffre d’affaires de 70 à 50% pour pouvoir prétendre au Fonds de solidarité. Ce sont des aménagements, mais qui correspondent à la réalité du terrain. Le Gouvernement en est peut-être un peu trop éloigné pour prendre la mesure des dispositifs… Il est important que nous soyons là pour faire remonter des exemples concrets, nous ne sommes pas dans un dogme, à défendre une position pour défendre une position, mais bien pour accompagner au mieux nos entreprises. Il y a évidemment encore des ajustements à faire, concernant les entreprises en plan de continuation, elles peuvent bénéficier du PGE, nous voulons aller plus loin : qu’elles puissent aussi bénéficier d’un dispositif leur permettant de se projeter. Nous devons aider : les entreprises en général, pour qu’elles ne déposent pas le bilan, les collaborateurs, pour qu’ils travaillent dans des conditions sanitaires optimales et le chef d’entreprise.
Passées les premières semaines où les entreprises ont dû accuser le coup, elles arrivent aujourd’hui à relever la tête ?
Aujourd’hui, nous sommes dans une phase opérationnelle, qui à mon avis va s’étirer sur tout le mois d’avril. Tout le monde a bien compris que le confinement allait durer et il s’agit pour les dirigeants de convertir leur activité, d’exploiter leur savoir-faire différemment, pour malgré tout continuer à travailler. C’est par exemple le cas des organismes de formation, qui proposent des enseignements à distance, en adaptant leurs formules à la situation. Mais il aura fallu ces 15 premiers jours de confinement pour se repositionner. Idem pour les restaurateurs : ils ont reçu un véritable coup de massue à l’annonce de la fermeture de leurs établissements à la mi-mars. Après une période de flottement, durant laquelle nous avons été à leurs côtés pour notamment mettre en place l’activité partielle et suivre les procédures, beaucoup ont mis sur pied une formule de “drive”. Nous allons vivre au ralenti jusqu’à la fin du confinement, il faut vraiment mesurer au plus juste le besoin de confiner les équipes. On ne pourra pas avoir une reprise d’activité normale avant le déconfinement. Le redémarrage va être compliqué, nous sommes là pour trouver des moyens d’adapter au mieux les aides.
“Aujourd’hui, nous sommes dans une phase opérationnelle”
Et concernant le secteur du BTP, incité par l’État à se remettre au travail ?
Franchement, je suis partagé. Si on est capable de garantir la sécurité de nos collaborateurs, pas de soucis, avec les protections et le respect de la distanciation sociale, ils peuvent travailler. Sans ces conditions, ça me paraît compliqué et contre productif… Il y a des contraintes spécifiques au BTP, comme le déplacement des individus.
La CPME Hauts-de-France a mis sur pied des dispositifs spécifiques pour aider les entreprises ?
Nous avons deux cellules. Les chefs d’entreprise nous appellent pour une aide technique, ils sont alors mis en contact avec des techniciens, en général des dirigeants ou ex dirigeants. Qui peuvent les aider par exemple à monter un plan de trésorerie. Notre seconde cellule est psychologique : certains de nos chefs d’entreprise nous contactent parce qu’ils sont seuls, et en détresse. Grâce à cette cellule, ils peuvent discuter avec des adhérents dont l’écoute et l’aide psychologique sont les métiers.
Dans ce contexte économique incertain, quelle est votre plus grande crainte ?
Ce qui me fait le plus peur, c’est cette solitude du dirigeant, je pense que ce système de travailler seul va rapidement atteindre ses limites et qu’on n’en a pas assez mesurer les conséquences, humainement et psychologiquement catastrophiques. J’ai peur que certains baissent les bras, que ce soit pour eux la goutte d’eau… Si j’avais un seul message à délivrer aux chefs d’entreprise, c’est : ne restez pas seuls, nous sommes là pour vous aider.